Claude Acker explique sa démarche artistique autour du journal Le Monde.
Dans notre époque de signes, sur-informée, se tisse une chaîne sans fin de mots sur laquelle j’essaie de saisir la trame du sens. La métaphore de l’enlacement infini des circuits et des fragments de l’information est aujourd’hui reprise par l’image de la toile(net).
La tapisserie traditionnelle, celle que nous ont transmis Les Gobelins ou Aubusson, était arrivée à un moment ultime où elle ne parvenait plus à capter ce que notre monde avait à dire. Le matériau de base de notre société actuelle est la communication, et pour faire en sorte que la tapisserie puisse s’approprier cet environnement, il fallait lui intégrer quelque chose de la forte dimension d’éphémère de cet échange intensif de la pensée.
C’est en recherchant la légèreté du support comme celle de l’idée que j’en suis arrivée à utiliser le papier journal. Le journal a une existence limitée à celle des informations qu’il rapporte, je prélève cette existence pour l’intégrer dans la matière de l’œuvre. A partir de ce moment, le journal n’est plus uniquement destiné à l’esprit mais s’adresse aussi, et d’abord aux sens, c’est à dire devient une affaire de sensualité.
Le journal est d’abord découpé en bandes dans le sens de la longueur, il est ensuite tortillé à la main par simple torsion. C’est un travail lent et précis pour obtenir des fils réguliers et solides. Je le fais tout en parcourant les nouvelles car les pages que j’utilise sont celles où j’ai lu quelque chose qui m’a touché et dont j’ai senti qu’il était nécessaire de le conserver dans cette deuxième vie.
Les pages sont donc choisies en tenant compte de leur contenu et des nuances des noirs, gris et blancs ou des pages couleurs, assez rares dans la presse quotidienne. Derrière les variations des teintes d’une pièces tissée, il y a des causes qui tiennent au contenu de tel ou tel article et dont je me souviens. Il m’arrive d’acheter plusieurs numéro d’un même journal pour disposer de la teinte fournie par un texte ou une photo.
D’une manière générale, je favorise les pages culture. J’ai un faible pour le monde des livres, les carnets de voyage, pour la part du rêve et des couleurs; je détourne l’information si elle me révolte, les phrases qui me heurtent sont cachées dans le plis des fils de papier. Je censure la violence et les articles des politiciens quand ce qu’ils disent m’est odieux. Je compatis pour les détresses et les chagrins et je prime les plus beaux récits.
Les pièces tissées que je réalise sont d’abord faites de mots, d’histoires, que je restitue après les avoir lus en leur donnant une nouvelle forme où leur agencement reflète à la fois leur sens et leur matière : information et fibres de cellulose.